Interview : Daedelus (09-2005)

Interview : Daedelus (09-2005)

Daedelus

Qu’est ce qui fait que Daedelus est devenu Daedelus? Ta formation? Tes motivations?

Je vais essayer de répondre de mon mieux, mais c’est toujours difficile parce qu’il n’y a pas qu’une réponse possible. C’est avant tout le résultat d’un nombre de facteurs indéterminé qui fait que j’en suis là aujourd’hui. Et puis, je ne suis encore arrivé nul part, je suis en plein dans mon voyage. Quand j’étais jeune, mes parents avaient pour ami le manager de Parliament Funkadelic, donc assez tôt je me suis mis à écouter de la funk. C’est certainement assez inapproprié pour un enfant de huit ans, au moins au niveau des lyrics, mais ça m’a apporté beaucoup. Dans le même temps, mes parents, qui ont grandi dans les années 50, écoutaient beaucoup de musique contemporaine ou de musique concrète européenne et américaine, ce genre de chose… Mais j’étais le seul à jouer d’un instrument dans le foyer. J’ai commencé la clarinette quand j’avais six ans, et la basse quand j’avais dix ou onze ans.

et tu as fait des études de musique par la suite à l’université…

Tout a fait! J’ai étudié le jazz dans un premier temps, avant de passer à la musique classique. Ce sont mes fondations. Et après j’ai découvert d’autres musiques comme le rap quand j’étais adolescent, ce qui a été une étape très importante. Toutes ces musiques, dans leurs diversités, m’ont donné le sentiment d’être un peu « seul », ce qui a des bons et des mauvais côtés, puisque j’ai rapidement eu le sentiment de pouvoir générer ma propre musique. Et même quand j’étais au lycée, j’étais le mec qui faisait importer ses disques d’Angleterre, notamment des disques de Rave music.

Sans vouloir être trop « premier degré », tu penses que tout cela a fait qu’aujourd’hui tu te produises seul?

Définitivement, j’ai participé à pas mal de groupes, mais je n’y ai jamais trouvé l’espace de liberté suffisant. J’ai commencé dans un groupe de surf-rock, après j’ai joué dans un truc de punk, et après dans un groupe de jazz. Mais ce n’était pas forcément des expériences géniales. Surtout que je jouais de la basse, et que c’est un instrument difficile. C’est toi qui tiens le rythme. Et j’avais d’autres ambitions que la basse ne permettait pas d’exprimer…

Entre « Invention » et « Exquisite Corpse », il y a eu une large évolution. Comment travailles-tu quand il s’agit d’un album instrumental ou quand tu as des invités?

Ca a évidemment une incidence. Chaque disque pour moi est le résultat d’une longue réflexion. « Invention », par exemple, était ma première vraie sortie, donc même si c’était une « compilation » de titres réalisés depuis plus ou moins longtemps, c’était un disque en rapport avec un état d’esprit, c’était une lettre d’amour à « l’aire Victorienne », une idée du romantisme. Et même si je raconte ça aujourd’hui, j’espère que celui qui l’écoute n’y pense pas. Je veux juste qu’il apprécie le son sans aller aussi loin dans l’analyse, mais c’est ce que ça évoquait pour moi. « Excquisite Corpse » était très différent parce que je savais en l’écrivant qui je voulais dessus. Et même si je ne pense pas que mon style ait évolué pour autant, ce facteur a forcément une incidence.

Comment expliques-tu la montée en puissance actuelle des producteurs? Je pense à des gens comme toi, ou Madlib, Blockhead… On a l’impression que vous pouvez largement vous passer d’un groupe pour exister…

On est beaucoup plus important aujourd’hui que dans le passé. Pas forcément autant que les rappeurs, mais pour moi, c’est essentiellement parce que musicalement les producteurs ont beaucoup plus de personnalité qu’avant. Quand t’écoutes le travail de Madlib, notamment sur « Madvillain » et ce qu’il a fait avec MF Doom, tu sens que ça colle parfaitement. Du coup, il y a moins de complexe, tu sens que tu peux faire un vrai travail de mélodie, et pas juste servir la soupe aux MC’s.

Par la même occasion, comment expliques-tu la place qu’occupe aujourd’hui Los Angeles dans le rap? On parlait de Madlib, de Busdriver…

ou Jay Dee, Common vit là bas, Kayne West aussi, et des centaines de jeunes producteurs ou de MC’s qu’on ne connaît pas encore… On voyage tous à travers le monde et on accumule les influences, ce qui enrichit la musique de Los Angeles. Il y a forcement une question de mode, on porte plus d’attention à un son qui vient de là-bas, mais il y a de la substance derrière. C’est très stimulant de vivre dans cette ville.

Changeons de sujet, et parlons de ton nom: Daedelus… J’ai lu quelque part que ce personnage de la mythologie avait son neveu pour apprenti et qu’il l’a tué lorsque celui-ci devenait meilleur que lui… Es-tu si ambitieux?

(rire) Nan, mais je suis assez sérieux à ce sujet. Quand t’es un artiste, tout ce que tu fais a un sens, ce n’est pas juste avoir des idées en fumant des joints au milieu de la nuit. Alors ce nom a vraiment un sens pour moi. C’est celui qui a conçu les ailes pour son fils Icare, c’est aussi un personnage d’un livre de James Joyce, c’est une figure tragique. Et tout doit être romantique!

Quels sont tes projets dans le futur?

J’ai un nouvel album qui est enregistré et qui sortira normalement en février ou en mars. Il y aura des sons plus longs, des ambiances différentes, brésiliennes, plus de percussions. Je vais essayer de voir ce que peuvent donner des sons dansants revus à ma façon. J’ai en même temps un autre projet avec ma femme, Laura Darling, qui s’appellera « The Long Lost », et qui sera entièrement acoustique. Je jouerai de la guitare, elle de la flûte, et on chantera tous les deux. Ce sera des sons assez calmes sans électronique. L’album est quasiment terminé. Et finalement j’ai un projet en duo avec Subtitle, mais c’est qu’un projet…

Tradition Bokson, le mot de la fin…

(Au même moment, un scandale éclate dans la rue entre des policiers et une femme qui n’a pas l’air en forme…) Beaucoup de gens cherchent un sens politique dans mes chansons. J’ai l’air con de dire ça avec ce qui se passe devant nous en ce moment, mais pour moi au lieu de chercher ça il vaut mieux chercher à aller de l’avant en amenant de l’émotion dans tout ce qu’on peut, au lieu de souligner les douleurs.


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