Interview – Chris Cohen, la pop à l’âme

Interview – Chris Cohen, la pop à l’âme

Voilà près d’une quinzaine d’années que Chris Cohen promène son visage paisible et sa pop raffinée sur les scènes et les platines. En quelques projets (The Curtains, Cryptacize), le californien a construit une musique d’intérieur pour les oreilles attentives et les cœurs percés, qui subjugue par la somme des petits détails qu’elle transporte avec elle. De retour cette année avec ‘As If Apart‘, il distille en quelques morceaux le plus joli album de pop que vous entendrez en 2016, résultat d’un long travail pour ce musicien perfectionniste et isolé, à l’abri dans un petit monde qu’il a quitté il y a quelques temps pour les affres de la vie en tournée. De passage à Paris pour un concert au Point Ephémère, on a pris le temps de discuter avec ce personnage aux yeux tristes et à la voix paisible, qui nous a parlé de ses premiers groupes imaginaires et de ce mystérieux problème qu’est la musique.

Comment se passe ta tournée ? C’est votre dernier concert en France ce soir, c’est ça ?

Chris Cohen : En France, ça s’est très bien passé. Après ce soir, on joue à Bruxelles, Barcelone et on rentre. On arrive à la fin de la tournée. Il y a eu des hauts et des bas, mais ça fait partie de l’expérience.

J’ai vu que tu avais commencé à jouer dans des groupes à l’âge de 13 ans…

J’ai été dans des groupes toute ma vie, mais je ne suis pas parti en tournée ou n’ai sorti d’albums avant mes 27 ans.

Tu te rappelles de tes premiers groupes ?

Hum voyons, mon premier groupe… J’ai eu des groupes qui étaient purement imaginaires, je dessinais le logo. Le premier s’appelait Blocks, c’était un groupe de new wave. Il y avait d’autres membres mais c’était tous des personnages inventés. J’étais la seule personne qui connaissait l’existence de ce groupe. Mais nous avions des morceaux… dans ma tête.

Quel type de musique jouais-tu à l’époque ?

Un peu la même que maintenant, quelque chose de populaire. J’étais un batteur et je voulais sonner comme Devo, avoir juste une batterie et un synthétiseur.

Comme eux, tu avais ta théorie personnelle ?

Ahah non, je n’en avais pas, je ne comprenais pas vraiment leur concept à l’époque, mais je savais juste qu’ils étaient cools.

C’est tout ce que tu as besoin de savoir à cette âge là… J’ai vu que ton père était un producteur de musique…

Ce n’était pas un producteur, il travaillait plutôt en tant que manager, il signait des groupes, il travaillait pour Columbia Records dans les années 70, il a travaillé pour Epic aussi.

Ta mère était une actrice. Dans cet environnement artistique, est-ce que tes parents t’ont encouragé à faire de la musique ?

Oui, ils m’ont acheté une petite batterie quand j’avais 12 ans, ils me soutenaient beaucoup, ils n’ont jamais essayé de me tourner vers quelque chose d’autre.

Est ce que ton père te faisait découvrir les artistes qu’il côtoyait ?

Non, on n’a jamais parlé de musique en fait. Je ne crois pas qu’il ressente quoi que ce soit pour la musique désormais, même si c’était déjà le cas quand il était jeune. Je pense qu’il avait surtout un véritable amour pour le succès, et non pour la musique. Il y voyait un intérêt uniquement par le prisme de la réussite. J’avais une connexion à ce niveau la avec ma mère, mais pas avec mon père. Quand, ado, je passais du temps à faire de la musique, je voulais vraiment faire quelque chose que mon père remarquerait, mais il n’a jamais dit un mot sur ce que je faisais. Et la musique sur laquelle il travaillait était très différente de la musique qui m’intéressait. Il a aussi travaillé pour A&M Records dans les années 70, et il cherchait un groupe de new wave à signer. Il a entendu parler de Devo, et était intéressé pour les signer sur ce gros label. Mais ils n’étaient pas assez pop. Il est allé les voir à un concert à Los Angeles et n’a pas aimé le groupe. Par la suite, j’ai découvert Devo tout jeune, au moment ou le morceau ‘Whip It’ est sorti. Je l’ai entendu et j’ai trouvé ça trop cool. Et mon père m’a dit : ‘Ah oui, c’est le groupe que je n’ai pas aimé‘. J’étais là : ‘Mais comment tu ne peux pas aimer ça !?‘. Je me suis donc emparé de Devo comme du groupe cool que mon père n’aimait pas

Mais tu n’as jamais vu la musique comme une forme d’accomplissement personnel ?

Dans les moments les plus difficiles, je peux le voir comme ça, mais je ne préfère pas voir ma musique par le prisme de la réussite. Je ne suis pas sûr de savoir la mesurer autrement que dans le sentiment que j’ai quand je la joue. Si j’ai le sensation d’apprendre quelque chose, si c’est intéressant ou excitant pour moi, c’est suffisant, et c’est ce que je recherche. Je suis un être humain et, pour être honnête, j’aimerais quelques fois être un peu plus reconnu, mais je pense que ce n’est pas très sain de voir la musique de cette manière.

Tu penses que c’est toxique cette manière de penser ?

Parce que je pense que poursuivre ce but avec cette idée de succès en tête est vain. Tu ne l’atteins jamais, et tu n’es jamais heureux. Une fois que tu as accompli quelque chose, tu veux autre chose, et ça peut être comparé au sentiment que tu as quand tu écris un morceau que tu aimes et que tu te dis : ‘oh j’ai fait sortir ça de nulle part, c’est appréciable pour moi, et ça me mène quelque part‘. Chercher pour un but précis dans une carrière, je ne pense pas que ce soit sain. Mais je ne parle pas que de la musique, j’entends par là n’importe quel type de carrière.

Est ce que cette manière de percevoir ta musique a à voir avec le fait que tu n’en vis pas 

Je ne vis plus grâce à ma musique depuis que je ne suis plus dans Deerhoof. J’ai été dans ce groupe pendant peut être quatre ans, et je trouvais très troublant le fait que je puisse en vivre parce que j’ai toujours considéré la musique comme un hobby, pas comme un métier. Je suis heureux de gagner de l’argent pour ce travail, mais ça reste difficile pour moi. Ça vient probablement de la manière dont j’observais le business de la musique ou travaillait mon père. Je ne me suis jamais vu faire les choses de cette manière, je me suis toujours vu à l’extérieur de ça, et c’est quelque chose que j’essaye de résoudre encore aujourd’hui.

Quand as-tu commencé à travailler sur ce nouvel album ?

Juste après avoir terminé le précédent, et ça fait un moment déjà ! J’ai débuté en 2014 je crois. Le premier album est sorti, je suis parti en tournée, et j’ai quitté la côte Est pour retourner en Californie ou j’ai commencé à recomposer et à réenregistrer. J’ai du trouver un endroit ou pouvoir faire tout ça, et ça m’a pris du temps.

Pour ‘As If Apart’, tu as joué de tous les instruments. Quand tu commences à écrire un morceau, comment est-ce que tu construis la structure de base ?

D’habitude, je commence au piano, ou je cherche une mélodie, un riff. J’ai généralement plusieurs idées que j’essaye de rassembler dans une même chanson, mais ça ne marche pas toujours. Ensuite je les combine dans des ordres différents. J’y passe généralement plusieurs mois sur chaque, et j’essaye tous les jours de trouver des arrangements. Je n’ai pas de structure favorite préétablie, je continue juste à chercher pour en trouver une qui me plait. Et du coup, le morceau passe par de nombreux états. Quand je me suis décidé sur la structure, je me concentre sur les détails, les percussions, la ligne de basse, la guitare. C’est comme ça que j’ai travaillé sur le dernier album, en ajoutant les paroles à la toute fin.

Tu considères la voix comme un instrument ?

Hum, en quelque sorte, ce n’est pas juste un instrument, parce que je crois au sens des mots. Mais j’écris la mélodie avant, et j’essaye d’être à son écoute, de comprendre ce qu’elle veut raconter. C’est une décision musicale, et la voix est dictée par la mélodie. C’est un aller retour constant entre le sens et le son. On travaille ensemble.

Tu n’as donc pas de thèmes en tête quand tu écris ?

Je ne décide pas avant. Quelques fois, quand j’écris un morceau, des souvenirs ou des sentiments me viennent à l’esprit et j’essaie d’écrire là dessus. Mais je ne prépare rien au préalable.

Tu disais pourtant que chaque album que tu écris est comme un livre de souvenirs qui représente une période de temps donné ?

Oui c’est vrai, je pense que ça marche de cette façon, même si les paroles viennent en dernier. D’habitude, j’écris une sorte de storytelling, sur le lieu ou je me trouve, sur les personnes qui m’entourent, et ce qui se passe autour de moi.

Tu parles souvent de ta musique comme de quelque chose de mystérieux, et tu n’as pas l’air d’être une personne qui veut expliquer chaque parcelle de son art. Est-ce que tu penses que, de nos jours, les gens veulent tout connaître et tout savoir sur les artistes qu’ils écoutent ?

Je ne sais pas trop, ça me paraît impossible.

Je disais ça par rapport à la description que tu fais de ta musique…

Oui, mais tous les jobs sont comme ça. Je suppose que je fais de la musique parce que, pour moi, c’est quelque chose de mystérieux, et tellement amusant. Mais je pense que tout est comme ça. J’imagine qu’écrire sur la musique peut être comme ça, de temps en temps. Tu ne peux pas tout expliquer, tout contrôler.

J’ai une dernière question pour toi : quelle est la pire question qu’on t’ait posé en interview ?

Je déteste quand les gens me demandent de décrire ma musique. Je n’aime pas ça du tout. Du coup, je dis n’importe quoi. Je choisis un genre au hasard. C’est quelque chose que je fais aux frontières notamment quand je vais jouer dans un autre pays et qu’on me demande quel type de musique je joue. Je réponds ‘jazz’ ou ‘classique’, ça dépend.


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