Interview – Baths, la sombre fantaisie d’un homme heureux

Interview – Baths, la sombre fantaisie d’un homme heureux

Le deuxième opus de Baths était sans doute l’un des plus attendus de la sphère électronique cette année, tant son premier essai ‘Cerulean‘ avait séduit. De retour avec un album clair-obscur bien plus orienté pop que son ainé, le bonhomme chante ses idées roses ou noires, mais nous rassure sur son heureux train de vie. Alors qu’il s’affiche désormais en duo pour le live, nous avons profité de son escale sur la Péniche de Lille pour le rencontrer.

Ça fait quoi de jouer sur un bateau?

Je suis très content! Je pense que c’est l’un des endroits les plus cools qui nous ait accueillis. Ça ne fait qu’un an qu’on joue ensemble avec Morgan, mais c’est l’une des meilleures salles. En plus, j’adore jouer tôt. Le concert a commencé à 18h30, on est dimanche, c’est super. Le son est bon, c’est le concert idéal, même si on a eu quelques problèmes techniques. Ça a buggé à un moment mais c’était de notre faute. Tout ce qui touchait au show était fantastique.

La salle ne peut accueillir qu’une centaine de personnes ici. As-tu l’habitude de jouer dans des lieux aussi confinés?

Oui, d’habitude, on joue devant un public comprenant entre 250 et 500 personnes. Par contre, on a joué au Pitchfork Festival, c’était fou, il y avait au moins 3000 personnes!

Tu as joué des trucs vraiment durs! Des morceaux que l’on n’a pas l’habitude d’entendre sur tes albums. Etait-ce un genre de teaser pour le prochain opus?

(rires) Ce n’est pas tellement une manière d’annoncer le prochain disque, ça fait plutôt partie du live. Il y a beaucoup d’improvisation, c’est une façon pour nous de prendre encore plus de plaisir sur scène. Ça ajoute quelque chose au live et ça en maintient la fraîcheur. On adore jouer les chansons des albums, mais on aime aussi prendre des risques. L’idée vient de Morgan, et personnellement ça me faisait peur! Finalement, ce sont nos moments préférés du set.

Tu n’es donc plus seul sur scène maintenant. Qui est Morgan?

Morgan Greenwood est la moitié – et membre fondateur – du duo Azeda Booth. C’est un groupe canadien que j’adore depuis deux ans. Un pote me les a présentés, et j’ai demandé à Morgan l’année dernière s’il était intéressé pour m’aider sur le live. Il était dispo pour essayer, nous l’avons fait, et ça a fonctionné! Il fait aujourd’hui partie de notre petit live-band, et il bossera probablement avec moi sur le prochain album. Je pense que c’est un génie et la musique qu’il fait est superbe.

Pour le prochain album, aimerais-tu avoir un vrai groupe?

Oui, nous y travaillons, avant tout pour avoir un plus gros son. Mais ce sera conceptuel, et différent d’un line-up classique basse-guitare-batterie. J’ai toujours voulu le faire, mais ça coûte un paquet d’argent… Il y a des groupes qui ont la chance d’avoir l’aide des labels mais, aujourd’hui, si j’avais trois ou quatre musiciens avec moi, je perdrais de l’argent. Désormais, je fais carrière dans la musique. Il faut que je tende vers cela, avoir un groupe. Et je le ferai quand je pourrai me le permettre financièrement.

Justement, à quel moment t’es-tu dit que tu ferais carrière dans la musique?

J’ai pris cette décision plutôt radicale quand j’étais au lycée. J’étais dans une école où on composait de la musique pour la télévision, les pubs… Il y a un moment où je me suis dit que je détestais ça. Je préférais faire de la musique pour moi, pas pour les autres. J’ai pris un semestre sabbatique, pour voir si je pouvais m’en sortir. Je me suis concentré sérieusement sur ma propre musique et, par l’intermédiaire d’amis, mes démos se sont retrouvées dans les mains de Daedelus. Il a vraiment apprécié, et il a commencé à faire tourner. Pour moi, c’est là que les choses ont commencé. Tout s’est enchaîné naturellement et j’en suis arrivé à sortir mon premier disque sur Anticon. Puis j’ai commencé à tourner et c’est devenu assez confortable pour que je puisse en vivre! C’était fantastique!

Tu viens de Los Angeles et tu es sur Anticon. Naturellement, as-tu été approché par Brainfeeder pour y sortir un disque?

Non, mais je les connais. En fait, ça n’aurait pas beaucoup de sens pour moi d’être sur Brainfeeder. Parfois, je me dis même que je n’ai rien à faire sur Anticon (rires). Le dernier album est bien plus pop, je ne sais pas s’il a sa place. Je ne pense pas appartenir à une catégorie précise, mais c’est aussi pourquoi Anticon marche aussi bien: c’est un label d’exception, très éclectique. Je n’aime pas dire tout haut que ma musique est éclectique, mais j’aime bien le penser! Il n’y a rien de mal à penser que je n’ai rien à faire sur Brainfeeder, c’est juste que ça n’arrivera jamais. Et, de toute façon, ils ne m’ont pas contacté.

Ton premier album ‘Cerulean’ a une pochette avec des couleurs éclatantes, d’un beau bleu, très positif… Ton nouvel opus ‘Obsidian’ a un visuel très sombre, limite déprimant… Je me suis même demandé si c’était vraiment un album de Baths en le voyant. Que veut dire cette mystérieuse pochette?

Il s’agit de moi sous une espèce de cape. Il y a également deux répliques sculptées de mon visage. J’admets que c’est bizarre! En fait, j’avais l’idée des morceaux de ‘Obsidian‘ bien avant de commencer ‘Cerulean’. Mais le sortir après était peut-être plus confortable, je ne voulais pas commencer avec un disque dark et agressif. Ce soir, on a joué pas mal de morceaux assez durs comme ‘Earth Death’, et c’est le genre de pop que j’avais en tête depuis longtemps. Il fallait que j’exprime ces idées. Voici comment est né ce nouvel album. Avant la sortie, j’ai été très malade, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je l’ai commencé. Ça a juste facilité les choses! Je ne peux pas dire: ‘j’ai été malade, donc je fais un disque triste‘. Ca n’a rien à voir.

Néanmoins, penses-tu que l’album aurait été différent si tu n’étais pas tombé malade?

C’est possible, oui. Je pense qu’il aurait été plus difficile pour moi de trouver les bonnes paroles par exemple. Le fait d’être malade m’a peut-être permis d’écrire des paroles plus directes, et avec plus de poésie et de colère en même temps. Je ne suis pas quelqu’un de colérique, mais là j’en voulais au monde entier. Mais je reste une personne globalement heureuse, donc c’était dur quand même. Pour vraiment me sentir triste, il faut vraiment que j’y pense tous les jours pour y arriver. Bref, c’était un processus très bizarre. J’ai écrit dans trois endroits différents, j’étais toujours à moitié malade, mais j’ai fini par y arriver!

Tu parles beaucoup de la mort ou du suicide. Pourquoi? As-tu pensé à l’un ou l’autre?

Non, mais je l’ai vécu à travers des connaissances. Il s’agit juste d’un feeling qui m’a inspiré parce que c’est à des années-lumière de mon existence et de mon monde. Je suis intrigué par tout ce que je ne comprends pas. L’un de mes trucs favoris et qui m’a beaucoup inspiré est ce jeu vidéo, ‘Silent Hill 2’. C’est un jeu d’horreur flippant et très sombre. En y jouant, j’avais toujours envie de composer de la musique en rapport avec ce que je ressentais ou ce que je voyais.

Donc tout ça n’est pas inspiré de ta vraie vie…

Non, je ne peux pas écrire des textes à 100% en rapport avec ma vie. Je suis une personne heureuse, j’estime avoir une belle existence, mais je n’ai pas envie d’en parler. A contrario, la chanson ‘No Eyes’ est très pertinente pour moi, elle parle de moi. Mais dans tous les cas, j’en fais une fiction, j’ajoute mon imagination et j’exagère beaucoup.

Will et Baths ne sont pas forcément deux personnes différentes finalement!

Non, c’est clair. Pour moi la musique reste honnête, même si elle est immergée dans la fantaisie. Je ne sépare pas ces deux personnalités, puisque je vis moi-même dans un monde fantaisiste. C’est difficile à expliquer, mais je pense que ça a du sens! Dans tous les cas, le disque n’est pas le reflet de ma vie.

Contrairement à ce qu’on pouvait entendre sur ‘Cerulean’ (beaucoup d’effets, de superpositions, de morceaux de voix), tu chantes pour de vrai sur ‘Obsidian’. Etait-ce également dans ta tête depuis longtemps, de mettre ta voix plus en avant?

Oui, c’était l’un des objectifs. Je voulais un disque plus direct, plus vocal, parce que j’aime ce genre de musique tout simplement. J’aime écouter les paroles. J’aime aussi la musique en ‘couches’ comme sur mon premier album. Mais je voulais en faire un comme ça.

Est-ce que ça signifie que tu avais peur de te mettre plus en avant sur le premier album?

Non pas du tout, parce que je faisais déjà ce type de musique bien avant! C’était même un peu maladroit, avec un chant et des paroles très directes! Avant, j’avais des chansons de plus de six minutes où je chantais et parlais non-stop. Ce n’était pas une phobie, c’était vraiment pour l’esthétique de ce premier disque qui est aussi beaucoup influencé par toute cette vibe chillwave. J’écoute beaucoup de trucs différents, et je fais beaucoup de choses dans ma vie. C’est pourquoi je voulais naturellement faire un disque qui change du précédent! D’ailleurs, pour le prochain, je n’ai aucune idée de la manière dont ça va sonner!

J’imagine que tu parlais de ton projet Post-Fœtus?

Oui, qui n’existe plus aujourd’hui!

Tu as d’autres side-projects?

Baths et Geotic sont mes deux projets toujours actifs.

Pourquoi ne pas les combiner? Pourquoi conserver deux entités?

Geotic, c’est pour l’écoute passive, et Baths pour l’écoute active. Geotic, c’est ce que je fais pour rester actif en arrière-plan. Cette musique ne demande pas beaucoup d’attention, c’est très atmosphérique, c’est comme une peinture accrochée sur un mur de ta maison! Et j’écoute beaucoup d’ambient donc j’aime cet état d’esprit. Ça aide à sentir l’espace et l’atmosphère! J’aime penser que Baths est un projet qui s’écoute avec beaucoup plus d’attention.

Comment considères-tu l’accueil de Baths ici en France?

Super! C’est impossible de caractériser le public d’un pays entier, ce n’est jamais vraiment juste! Partout dans le monde, les gens sont les mêmes: cools, cons, timides, exubérants… Ce soir par exemple, le public était très silencieux, mais attentif. A Los Angeles, les gens sont globalement plus excités par les concerts même si je suis déjà tombé sur une audience calme. Là, j’ai dû attendre à chaque fois que les gens applaudissent bruyamment pour comprendre qu’ils appréciaient! Il y a forcément un moment où tu te dis ‘merde ils nous détestent‘ (rires).

Je suis content d’entendre que tu connais quelques mots en français, comme ‘bonjour’ ou ‘merci’ (rires)

Ma mère est canadienne francophone. Mais je ne connais que quelques mots. Je vais essayer de compter jusqu’à dix, tu es prêt? (il compte, ndlr) Ce sont presque les seuls mots que je sais dire! Je connais aussi ‘fatigué’. Et c’est tout (rires).


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