Interview – B Dolan, un poète en campagne

Interview – B Dolan, un poète en campagne

C’est au lendemain de la 45ème fusillade de l’année 2015 dans une école des Etats-Unis que nous rencontrons B Dolan sur l’intimiste Péniche de Lille. Un prétexte évident pour questionner cet activiste sur sa vision des problèmes qui remuent continuellement son pays, sans occulter la genèse de ‘Kill The Wolf‘, dernier album en date qui voit sa carrière musicale faire un bond en avant en termes d’investissement personnel. Juste avant son show mémorable, dans la soute, nous avons donc taillé le bout de gras à propos de cinéma, du hip-hop actuel, de l’influence des réseaux sociaux et bien sûr de son président.

C’est la première fois que tu joues dans un bateau ?

B.Dolan : Non, je pense que c’est la seconde fois. La première, c’était une salle appelée Thekla, à Bristol. Mais c’est la première fois que ça m’arrive en France.

Donc tu sais comment faire couler ce truc ?

Oui, bien sûr ! (rires) Rock the boat !

Quelle est la configuration live de ce soir ?

C’est moi et Buddy Peace. Il ouvre le show pendant une demi-heure avec un mélange de DJ set et de MPC. Ensuite, il est avec moi pour une routine MC/DJ de 70 minutes, essentiellement concentrée sur le dernier album.

‘Kill The Wolf’ est plus lourd que les précédents. Tu as invité des musiciens, ce qui le rend plus massif et organique. Pourquoi ne pas les inviter sur scène ? C’est une question de budget ?

L’année dernière, on a tourné en configuration live band. Je le fais occasionnellement. C’était surtout pour que les gens puissent entendre le son comme il est réellement. Ce soir, ça n’est pas uniquement un DJ et un MC. On dirait un DJ set mais, sous la table, il y a une carte son avec 8 pistes, et sur scène on a aussi un Moog et un Sub Phatty que l’on a beaucoup utilisé sur l’album, et qui lui donne ces grosses basses. On fait tout ce qu’un DJ peut faire, comme scratcher ou s’amuser avec les instrus, mais on a ce son en plus. Avec un groupe, le guitariste ou le batteur doivent reproduire les samples. Dans la configuration de ce soir, c’est une manière plus pure et plus dynamique d’être fidèle au son de l’album.

La grosse différence sur ton dernier album, c’est que tu as pris part à la production…

Oui, j’ai produit l’album. Il y a plus de vingt musiciens, rappeurs et vocalistes qui interviennent. J’ai donc harmonisé tout ça !

Sens-tu ce disque comme une œuvre plus personnelle du coup?

Je pense que c’est le cas. Ils le sont tous, mais ‘Kill The Wolf’ est plus un concentré de ce que je sais faire aujourd’hui.

Pourquoi n’as-tu pas commencé la production avant ?

En fait, je l’ai fait. Mais c’est juste que j’ai rencontré des producteurs qui étaient bien meilleurs que moi (rires). Mais j’ai beaucoup appris grâce à eux ! Quand j’ai commencé à enregistrer des disques, j’essayais de les produire, car je pensais que personne n’accepterait de faire des beats pour moi. Durant ces années, j’ai bossé avec des gens comme Alias, Buddy Peace, et le niveau de leurs instrus était bien plus élevé que ce que j’étais capable de faire à l’époque. J’ai continué à discuter avec eux, et beaucoup d’autres personnes m’ont appris à faire des beats, à comprendre les interfaces entre les softwares et le mastering. Je n’ai rien étudié, j’ai appris en autodidacte, et uniquement avec de la pratique. Ce fut donc un process très lent, mes capacités de MC progressaient plus vite que mes talents de beatmaker ! Aujourd’hui, j’ai le sentiment que je suis enfin arrivé à produire des beats assez corrects pour rapper dessus ! (rires)

As-tu pris ton pied avec cette casquette de producteur ?

Oui, j’ai pris plus de plaisir que sur n’importe quel autre album. Quand tu écris pendant cinq jours, et que tu sens que tu arrives au pied du mur ou que tu es à court d’idées, c’est super de pouvoir s’arrêter pour réfléchir plutôt à une ligne de basse ou à un beat. Tout ça était nouveau pour moi, et c’était aussi excitant de pouvoir faire coïncider mes beats et mes lyrics, car je savais à quel moment les faire évoluer, à quel moment mettre du groove ou des breaks.

Selon toi, quel genre de risque doit prendre le hip-hop pour survivre à l’avenir ?

Je pense qu’il y a beaucoup de bonnes choses dans le hip-hop d’aujourd’hui. Il y a beaucoup de nouvelles voix, avec de bonnes idées. Si tu écoutes ce que font Chance the Rapper ou Kendrick Lamar, ces mecs prennent des risques. Je pense qu’on est arrivé à un point où les vieux gardiens du hip-hop se font rattraper par la nouvelle génération. Ceux qui dictaient au hip-hop sa façon de sonner, aux MCs comment se comporter, ceux qui écrivaient les règles se rendent compte aujourd’hui que les gamins sont là et leur disent : ‘allez-vous faire foutre les mecs‘ (rires). Par exemple, prends Frank Ocean qui a fait son coming-out : ce genre de choses impossibles avant deviendra de plus en plus commun, tu verras. Il y a de plus en plus de gens qui se sentent comme partie prenante du mouvement rap avec leur musique, et c’est ce qui va naturellement créer de la diversité dans le son et les styles. Je suis vraiment content de ce qui se passe aujourd’hui !

De mon point de vue, il y a des gens qui arrivent à faire de la musique qui plait au grand public, tout en restant créatifs. C’est le cas de Kanye West ou A$AP Rocky. Est-ce du génie ou de la soupe selon toi ?

Je pense que l’industrie musicale s’est un peu ratatinée ces derniers temps, ce qui a permis aux voix indépendantes d’avoir plus de visibilité et d’être appréciées de manière plus large. Pendant que le niveau s’élevait, les majors ont continué à faire ce qu’elles avaient l’habitude de faire. Pour moi, c’est du génie d’arriver au niveau de ces rappeurs, car un tel succès n’est pas facile à atteindre, loin de là ! Il faut du génie pour savoir faire de la bonne pop tout en ayant un vrai contenu, comme le fait Kanye West. Il prend des risques à chaque fois, repousse certaines de ses limites. Ce genre de comportement m’inspire définitivement.

Parlons un peu de cinéma. As-tu vu le film ‘NWA : Straight Outta Compton’ ?

Malheureusement non. A cause de la tournée, je n’ai pas une minute à moi pour aller au ciné !

Où étais-tu à cette époque, et que faisais-tu ?

J’étais très jeune à l’époque. Je suis né en 1981. En 1985, j’avais donc 4 ans, je m’en souviens donc très vaguement ! (rires) Le moment où j’ai vraiment commencé à prêter attention au hip-hop est arrivé en 1992, à la sortie de l’album ‘The Diary’ de Scarface. Et la première fois que j’ai entendu Ice Cube, c’était en fait sur cet album, sur la chanson ‘Hand Of The Dead Body’. J’étais donc au courant de ce que faisaient NWA ou Run DMC, mais j’ai dû revenir dessus plus tard pour comprendre exactement leur histoire. A l’époque où ils ont explosé, j’étais trop petit pour être conscient de ce qu’il se passait. Je me souviens simplement qu’on parlait beaucoup d’eux dans les news, car tout le monde essayait de les censurer, parce qu’ils menaient un combat très politique. J’ai aussi découvert le style gangsta sur cet album de Scarface. C’était du gangsta rap, mais ce qu’il disait était vraiment froid. Il rappait des trucs du genre ‘Coz life has no meaning‘ (rires). C’était très sombre et c’est ce qui me touchait à ce moment-là !

Parle-nous de ton morceau ‘Film The Police’, en lien avec le ‘Fuck Da Police’ de NWA…

Oui, le lien est direct. C’est parti de l’histoire d’Oscar Grant, un homme qui s’est fait tirer dessus par la police à San Francisco. Beaucoup de gens l’ont filmé avec leur téléphone, et cet incident est devenu un scandale national. Après ça, j’ai discuté avec un activiste de l’organisation ‘Cop Watch’, qui incite les gens à filmer les flics. Du coup, les policiers savent qu’ils peuvent être filmés à tout moment par la population, sur les téléphones, depuis les fenêtres. On évoquait l’importance et la puissance de cette idée de filmer la police, et cette personne m’a dit, l’air de rien : ‘tu devrais faire un remake de ‘Fuck Da Police’ et l’appeler ‘Film The Police’ !’. J’ai donc réuni tous ces MCs et le mouvement a commencé à prendre de l’ampleur. Une fois le morceau sorti, on a commencé à voir de plus en plus de vidéos prises en Irak par exemple, ou d’autres de civils en train de se faire frapper par la police. L’idée a vraiment décollé, mais ça n’empêche pas les flics de continuer à tuer des gens non armés…

Tu penses donc que ce genre de morceau a un réel impact sur ce genre de bataille ?

Oui, et c’est un peu mon but en faisant de la musique politique. C’est d’être utile. Je ne cherche pas à dire des choses qui aident les gens à se sentir bien, pour qu’ils me disent merci, puis rentrent à la maison pour se rendre compte que rien a changé. Je cherche des idées utiles et pratiques, tout en essayant de divertir. Par exemple, avec ‘Film The Police’, je voulais aussi que les gens puissent se dire ‘Oh, c’est le remake de ‘Fuck Da Police’, je connais ce beat, j’adore ce truc !‘. Oui, mais ça doit aussi être une bonne chanson. Si je peux marier ça avec une idée médiatique que les gens peuvent mettre en pratique dans leur vie de tous les jours, c’est là où ça devient magique pour moi ! (rires) Tu sais, ‘Film The Police’ est maintenant un hashtag ! Des milliers de gens l’utilisent sans n’avoir jamais entendu cette chanson. Si tu peux contribuer à une justice sociale ou à un mouvement important, c’est là que la musique politique a un intérêt.

Dans le film, il y a une scène où la police monte sur scène pour arrêter violemment les artistes, juste parce qu’ils jouaient ‘Fuck Da Police’. Que ferais-tu si ce soir, les flics de Lille débarquaient sur scène au moment où tu joues ‘Film The Police’ ?

(rires) Je n’ai pas peur de cette police-là ! En fait, je n’en sais rien… Est-ce qu’ils ont des guns ?

Ça dépend, si tu veux te prendre une balle en plastique…

Alors non, je n’ai pas peur de cette petite police… (rires)

Tu es autant réputé pour ton activisme que pour ton rap. Comment utilises-tu les réseaux sociaux pour véhiculer tes messages ?

J’utilise beaucoup Twitter et Facebook, avant tout pour amplifier. Je suis beaucoup d’activistes et de penseurs que j’admire, et j’utilise ce réseau pour amplifier les bonnes idées. Bien sûr, je les utilise aussi pour promouvoir ma musique et interagir avec mes fans. Occasionnellement, j’écris aussi des articles sur le pétrole par exemple, ou tout un tas d’autre sujets, et je les publie si je les trouve efficaces. Je discute aussi beaucoup avec mes fans, au sujet des privilèges des blancs, de la suprématie blanche, le racisme induit par le système. J’ai pas mal de followers qui sont réceptifs à ce genre de messages, et c’est toujours utile d’avoir des avis différents ou des feedbacks de gens qui vivent dans d’autres pays ou dans une autre région des Etats-Unis. Ca ouvre des perspectives. Mine de rien, c’est du boulot, puisque tu dois réussir à te débarrasser des trolls et de ceux qui viennent pour te faire chier ! Mais si tu prends le temps de le faire, tu arrives à créer une communauté, un vrai média social. C’est ce qu’on essaye de faire !

Je comprends par-là que, selon toi, les réseaux sociaux sont une véritable arme.

Complètement, oui.

Mais peuvent-ils aussi devenir une menace dans le futur ?

(il hésite, ndlr) Je ne pense pas. Je suis conscient qu’il y a une tendance à simplement re-tweeter des choses. Ça ne signifie pas être réellement impliqué. Je pense que c’est différent aujourd’hui, par rapport aux anciennes générations, sur le sens des mots ‘implication’ et ‘activisme’. Mais en fin de compte, tout ça bouge dans la bonne direction. Les réseaux sociaux continueront de véhiculer de bonnes infos, tant qu’on aura internet !

Imaginons que Barack Obama tombe malade demain. Il t’appelle pour te demander de le remplacer pendant une semaine. Quelle serait ta première décision officielle en tant que vrai politicien ?

(rires) Oh mec, j’en sais rien… Il faut que je demande à mon conseiller !

As-tu regardé les news ce matin ? Tu as vu cette nouvelle fusillade dans une école ?

Oui, ça ne pouvait pas être pire… Je ne sais pas, il y a tellement de choses à faire ! Le contrôle des armes, c’est sûr… Aux Etats-Unis, on a une vraie histoire sur la possession d’armes à feu. C’est très lié à la psychose américaine. Les gens qui chassent pour manger, il n’y a rien de vraiment mal à ça. Par contre, il n’y a aucune raison à ce qu’un citoyen lambda puisse porter une arme militaire automatique… Jamais personne n’a su me donner un argument qui ait du sens. Les fusillades comme celle de ce matin, ça arrive tout le temps maintenant… Je pense qu’Obama a vraiment fait du bon boulot. Il peut être critiqué pour beaucoup de choses, mais en fin de compte, je suis content de ce qu’il a fait dans le domaine de la santé ou autres problèmes majeurs. Sa présidence laissera néanmoins l’héritage de ses échecs, comme le contrôle des armes. Il n’a rien pu faire. C’est complètement fou aujourd’hui de voir si frustré celui qui est supposé être l’homme le plus puissant du Monde ! Tu sais, la majorité des américains est pour une restriction, mais nos politiciens sont vendus et contrôlés par le lobby des armes et la NRA. La volonté publique n’est pas suffisante, et les élus ne feront rien à ce sujet, c’est un énorme problème. Finalement, je pense que certains politiciens auront besoin de sacrifier leur carrière pour que quelque chose bouge. Les prix des campagnes politiques ou l’éducation sont aussi des problèmes majeurs, il y a trop de choses à faire. Bref, je pense que je ferais une crise de panique dès mon premier jour ! (rires)

Finalement, le ‘B’ de B Dolan, c’est pour Barack’ ?

(rires) Bad motherfucker !

Je vais devoir trouver un titre pour cet article. Préfères-tu ‘B Dolan, le poète politique’ ou ‘B Dolan, le politicien poétique’ ?

(rires) Le premier me va mieux, je pense ! Parfois, je suis étiqueté comme politicien. Mais le rap politique représente peut-être le tiers de la musique que je fais. Mais dès que tu fais un morceau un peu engagé, tu deviens un rappeur politique aux yeux du public. J’ai des chansons comme ‘Marvin’, ou ‘These Rooms’… J’en écris beaucoup qui n’ont rien à voir avec tout ça ! Je parle aussi de politique personnelle. Par exemple les relations entre les hommes et leur femme. Il y a de la politique dans la chambre à coucher tu sais ! Disons donc que je suis un ‘poète politique personnel’… (rires)


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