Interview – Andy Shauf n’a qu’un seul mot à la bouche

Interview – Andy Shauf n’a qu’un seul mot à la bouche

Méconnu alors que son deuxième album ‘The Bearer Of Bad News’ se voyait offrir une seconde vie en 2015 à l’initiative d’un label au flair remarquable, Andy Shauf a vu les choses s’accélérer l’an passé lorsqu’il a rejoint les rangs d’Anti à l’occasion de la sortie de ‘The Party‘. Soudainement, son talent de songwriter n’avait plus rien du secret bien gardé, et sa musique à la fois folk, vintage, et magistralement arrangée par ses propres soins, se lovait dans le creux des oreilles de mélomanes en quête de douceur et de sensibilité, jusqu’à figurer tout en haut de certains tops de fin d’année, le nôtre notamment. 

Après un premier concert parisien plutôt intime intervenu l’été dernier, Andy Shauf s’apprête à défendre dignement son oeuvre sur la scène du Café de la Danse le 21 février prochain. L’occasion pour lui de revenir crapahuter dans Paris, à la rencontre de ses plus ardents défenseurs. C’est donc à son hôtel, en ce début de mois de février, qu’on a pu discuter avec lui. Son éternelle casquette bien vissée sur la tête, le canadien reflète parfaitement sa musique : serein, doux, d’une gentillesse non feinte, avec ce détachement qu’affichent souvent les artistes les plus humbles, il aborde avec nous son passé punk, ses influences, et son travail. Avec toujours un seul mot à la bouche : la simplicité. De quoi donner envie de se pencher sur sa discographie si vous ne l’avez pas déjà fait.

Tu joues de tous les instruments sur ton dernier album. Peut-on considérer que tu es assez talentueux pour ne pas souffrir de tes propres limites ?

Je pense que la raison pour laquelle je m’y prends ainsi, c’est justement parce que je suis limité en tout. C’est bénéfique parce que, quelque part, ça m’aide à faire les choses un peu plus simplement. Tu sais, quand tu vas en studio avec un producteur, il a tendance à décortiquer toutes les pistes. Du coup, c’est plus dur de parvenir à des compositions simples. Alors que moi, ça me permet justement de ne pas partir dans des délires de dingue dans l’orchestration…

C’est peut-être aussi ta manière de refléter vraiment ce que tu es, non ?

Peut-être aussi. Mais, au final, c’est surtout bénéfique pour les chansons. Tu dois faire avec ce que tu sais faire. Je ne suis pas un grand batteur par exemple, donc je ne peux faire que des choses simples, et c’est tout ce qui m’importe quand il s’agit de ma musique.

Est-ce que cette méthode convient également aux musiciens qui jouent avec toi ? En tournée, les autorises-tu à apporter leur propre touche à tes chansons quand vous les interprétez ensemble ?

Vraiment, ils peuvent faire absolument ce qu’ils veulent mais, encore une fois, je leur demande uniquement de faire simple. En fait, je fais très attention quand il s’agit de choisir mes musiciens, parce qu’ils doivent défendre cette approche que j’ai de la musique.

On remarque chez toi quelques influences du Randy Newman des années 70. Est-ce qu’il fait partie de tes ‘maitres’ ? Qu’est ce tu admires le plus chez lui ?

Oui, il est clairement un de mes songwriters favoris, c’est un peu comme un héros pour moi. Je ne sais pas… Il a cette manière d’écrire très simple. Il a de grandes idées et, en même temps, il peut être capable de faire un morceau avec une seule ligne, d’atteindre son but en seulement quelques mots…

Je sais que tu préfères le studio à la scène. Est-ce que, comme lui, tu serais tenté par la composition pour le cinéma ?

Bien sûr, je pense que ce serait quelque chose de très cool à faire, mais je suis très loin de ce genre de génie qui compose pour des comédies musicales ou pour les films. Je suis assez limité sur trop de choses pour pouvoir prétendre à cela. Par exemple, je ne sais pas si je saurais écrire des orchestrations, ce genre de choses. Il faut avoir une patte bien à soi pour cela, et j’ignore si je l’ai à l’heure où je te parle.

Pour ‘The Party’, tu as composé beaucoup moins de morceaux que pour l’album précédent. Est-ce parce que faire un choix final est trop difficile, ou était-ce dans le but de prendre beaucoup plus de temps pour chacun des titres ?

Pour celui-ci, c’était plus intentionnel de ma part. Au moment de composer ‘The Bearer Of Bad News’, j’essayais surtout d’arriver à ce que j’imaginais musicalement, du coup j’en suis arrivé à 90 ou 100 morceaux. Pour ‘The Party’, c’était différent puisque je savais ce que je voulais faire, donc je n’ai composé que des morceaux dont j’étais intimement persuadé. J’ai eu moins de mal à aller au bout de chacun. Au final, j’en avais 13 ou 14. Mais c’était totalement volontaire, dans le but que ça serve le propos de l’album tout entier, et j’en ai finalement mis 10 sur ‘The Party’.

Tu as déclaré que ‘The Party’ a été pour toi un moyen de sortir de ta propre tête. Doit-on comprendre que chanter sa propre vie, ses propres réflexions, devenait redondant ou inconfortable ?

Ce n’était pas inconfortable, c’est juste que je pense ne pas vivre une vie assez intéressante pour me pencher chaque fois sur mon sort. Je tourne beaucoup, et c’est impossible d’écrire 12 morceaux sur le fait d’être constamment sur la route. C’est plus excitant pour moi d’écrire ce qui me vient, de laisser faire les choses plutôt que de chanter que je suis tous les jours assis dans le van.

Il est évident que tu as passé un cap avec ce dernier album. Avant, tu étais un songwriter de talent, maintenant tu es reconnu pour cela. Etant donné que ‘The Bearer Of Bad News’ n’est pas si différent de ‘The Party’, bien que plus minimal et épuré, comment expliques tu cela ? Est-ce que le fait d’avoir signé avec un label comme Anti contribue à cette popularité croissante d’après toi ?

Je ne sais pas. Je suppose qu’Anti a fait en sorte que plus de gens m’écoutent, que ‘The Party’ atteigne un plus large public que ‘The Bearer Of Bad News’. On a tellement tourné depuis nos débuts que ça a aussi forcément contribué à ce que plus de gens me connaissent, c’est inévitable et logique quelque part. Le public vient, revient la fois d’après s’il a apprécié, achète même le disque… J’espère juste que la raison principale à cela est que nous travaillons beaucoup et qu’on récolte ce que l’on sème (rire).

Tu as commencé en tant que batteur dans un groupe punk, pour finalement te révéler dans une musique douce et fragile. Comment passe-t-on ainsi d’un extrême à une autre ?

Je dirais que la batterie est un instrument difficile, que je jouais forcément très rapidement. Mais bizarrement, pendant que j’étais dans ce groupe, je composais déjà des morceaux très doux à la guitare. Je n’ai pas une voix haut perchée donc, quand je jouais seul, je m’y adaptais. Je ne peux pas vraiment jouer fort de la guitare, contrairement à la batterie.

Il semblerait que le déclic pour toi s’est produit quand tu as écouté Elliott Smith. Qu’est ce qui t’a tant marqué chez lui ?

Je ne sais pas… En fait, je suis entré dans sa musique à un moment ou je cherchais à écouter pas mal de songwriters des années 70, comme Paul Simon… Tous ces gens que je découvrais peu à peu, et que je chantais. Comme aujourd’hui, je cherchais quelque chose de simple, juste des mecs avec leur guitare… J’écoutais beaucoup cela à l’époque. Elliott Smith était l’un d’eux : il y avait sa voix, sa guitare, ce n’était pas compliqué pourtant il faisait bien plus avec que n’importe qui affichant plus de complexité. Ca m’intriguait.

Revenons-en au punk… Est-ce que ça a été pour toi une manière de te rebeller face à l’éduction religieuse que tes parents t’ont donné ?

Il y avait un peu ça, c’est vrai. Surtout que les groupes que j’écoutais étaient plutôt énervés, presque dangereux (rire). Mais, d’un autre côté, je jouais dans un groupe de punk chrétien, donc ce n’était pas si rebelle que ça ! (rire).

Es-tu sensible au sujet de ce qui est dit sur ta musique, en positif comme en négatif ? Aussi, es-tu attentif aux attentes d’une partie du public qui attend toujours d’un artiste qu’il se renouvelle entre deux albums ?

J’essaye de ne pas trop lire les chroniques, et quand je le fais, j’essaye de ne rien prendre personnellement. C’est ma musique… Et quant aux attentes des gens à l’approche d’un nouveau disque, je pense que c’est complètement naturel pour un artiste de ne pas refaire sans arrêt la même chose. ‘The Bearer Of Bad News’ et ‘The Party’ sont assez simples mais, quand j’ai composé le dernier, je trouvais qu’il sonnait assez différent et j’espérais que ceux qui attendaient autre chose s’y retrouvent. Le prochain album ne sonnera pas non plus comme ‘The Party’ mais il ne sera pas non plus si différent.

Tu reconnais que Saskatchewan, ta ville d’origine, a influencé tes premier disques. Maintenant que tu as déménagé à Toronto, t’attends tu à ce que nouvel environnement imprègne ton prochain album ?

Oui, je pense que cela l’affectera. Pour moi, c’est une évidence que l’environnement dans lequel tu vis, l’endroit où tu as l’esprit se répercute dans ce que tu fais, en termes créatifs tout du moins. Je ne sais pas du tout encore comment tout cela se concrétisera mais… Peut-être que l’histoire de mon prochain album aura lieu dans une grande ville. Peut-être que ce ne sera pas plus compliqué que ça. Mais rien n’est sûr.

Pour finir, quel consommateur de musique es-tu ?

Je n’écoute pas tant de musique que cela. Je ne suis pas du genre à scotcher sur un album, à l’écouter jusqu’à l’obsession, puis l’oublier et passer à un autre. Il se passe souvent plusieurs années avant que j’adore vraiment un nouveau disque.


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