Cloud Nothings, existentialisme en mode lo-fi

Cloud Nothings, existentialisme en mode lo-fi

Devenu un peu malgré lui l’une des figures les plus en vues de l’indie U.S. ces cinq dernières années, Dylan Baldi reste le genre de mec qu’on pourrait croiser à Auchan en jogging le samedi après-midi sans vraiment s’en étonner. Look slacker, esprit affable, prompt à rire à n’importe quelle blague pour ne pas vous laisser dans l’embarras, c’est en creusant un peu qu’on aperçoit les centaines de questions qui s’entrechoquent dans l’esprit du bonhomme. Des questions, des angoisses qui habitent aussi les albums de Cloud Nothings, son projet démarré en 2009 et devenu véritable groupe.
Responsable en 2012 de ‘Attack On Memory‘, certainement l’un des meilleurs albums à guitares de la décennie (pour l’instant), Cloud Nothings a sorti cette année son cinquième opus : ‘Life Without Sound‘. Un disque à la tonalité plus pop mais toujours porté par des mélodies revanchardes et la voix de Baldi identifiable entre mille. A l’occasion du passage du groupe à Petit Bain, la salle de concert aquatique du 13e arrondissement de Paris, on est allé discuter avec le bonhomme pour comprendre un peu mieux où il cherche à emmener son groupe et surtout, ce qui le fait tellement flipper.

Comment se passe la tournée ? Est-ce que tu es satisfait de l’accueil réservé aux nouveaux titres ?

Dylan Baldi : Oui, tout se passe vraiment bien pour le moment. On joue principalement des titres de ‘Life Without Sound’ avec un ‘best-of’ des deux précédents albums. Même si je ne me focalise pas sur la réaction du public, je vois que les gens s’amusent à nos concerts. Du coup, j’imagine qu’ils aiment les nouveaux morceaux.

Les albums de Cloud Nothings bénéficient toujours d’un très bon accueil critique de la part des médias à leur sortie. C’est un truc auquel tu prêtes attention ?

Mmh… Non ! [rires] Je veux dire, tant mieux si on écrit des choses positives à notre sujet. C’est toujours un avantage pour la promotion d’un album. Mais il y a plein de groupes que j’aime et que j’écoute sans qu’aucun média n’écrive sur eux. Prêter attention aux critiques des journalistes, ça n’a pas vraiment de sens selon moi. Le respect du public est définitivement plus important.

‘Life Without Sound’ sonne plus varié au niveau des rythmes et des structures que ‘Here And Nowhere Else’. Est-ce que cette évolution relève d’un choix conscient ?

Pour ‘Here And Nowhere Else‘, tous les titres étaient extrêmement rapides et agressifs. Mais c’est ce que je voulais à l’époque : écrire des morceaux complètement dingues dans ce genre là ! [rires] Je crois qu’on y est parvenus. Mais pour ‘Life Without Sound’, j’avais envie que chaque titre ait sa propre identité. C’était important pour nous de prendre cette direction, simplement pour voir si nous en étions capables.

J’imagine que c’est ce qui rend aujourd’hui les concerts aussi agréables : cette variété au niveau des compositions.

Oui, j’en ai bien l’impression. Et puis nous sommes de nouveau deux guitaristes sur scène [pour l’enregistrement de ‘Here and Nowhere Else’ et la tournée qui a suivi, le groupe était passé à trois membres]. C’était pas mal de pression pour moi et ça gâchait aussi les titres de ‘Attack On Memory’ composés au départ pour deux guitares. On peut maintenant les jouer correctement sur scène avec l’arrivée de Chris Brown, notre nouveau guitariste. J’avais oublié à quel point nos morceaux sonnaient tellement mieux à quatre !

En effet, je me souviens avoir assisté à l’un de vos concerts pendant la tournée ‘Here and Nowhere Else’ et votre set avait une dimension vraiment brutale. On y distinguait à peine le côté mélodique des morceaux.

C’est vrai, même si on est toujours un peu brutaux sur scène.

Cela fait déjà un moment que tu tournes avec Cloud Nothings, presque sept ans. Est-ce que ça reste excitant pour toi ?

C’est devenu quelque chose de normal. Plus que d’être à la maison, en fait. Le van est devenu ma maison ! C’est toujours excitant de partir en tournée, et puis on a des amis dans chaque ville maintenant. On les retrouve à chaque passage, on traîne un peu avec eux… De toute façon, on ne peut pas gagner d’argent autrement qu’en donnant des concerts un peu partout. Si on ne faisait que des disques, on n’aurait pas un rond.

Pour en revenir au nouvel album, vous avez fait appel au producteur John Goodmason, connu pour son travail avec des grosses pointures comme Death Cab For Cutie, le Wu-Tang Clan, Blonde Redhead ou Sleater-Kinney. Est-ce que l’idée était d’avoir un son plus propre ?

On n’a pas vraiment eu de longue réflexion à propos du producteur. C’est généralement notre label qui nous dit : ‘Oh, et si vous alliez bosser avec ce mec là ?‘. On est libre d’accepter ou non. Bien sûr, on pourrait prendre les devants et décider par nous-mêmes mais, pour une raison que j’ignore, on n’a jamais pris le temps de réfléchir à ça… Mais oui, on souhaitait aussi un changement au niveau du son et John Goodemason s’est révélé en mesure d’apporter une meilleure production. C’est en quelque sorte son style aujourd’hui, même si les premiers Sleater-Kinney ont un son plutôt sec je trouve.

J’ai été surpris en écoutant pour la première fois ‘Life Without Sound’ parce qu’au delà de la production, les titres eux-mêmes ont une écriture plus pop. C’est important pour toi que les gens puissent identifier tes morceaux et les aimer instantanément ?

Disons que j’ai l’impression qu’il n’y a plus beaucoup de groupes de rock qui écrivent des chansons avec une écriture pop. C’est ce que moi j’essaye de faire et j’ai envie que Cloud Nothings en soit le meilleur exemple possible.

J’ai lu dans une interview accordée récemment à New Noise que tu aimais certains tubes de Taylor Swift ou Beyonce. Tu te vois collaborer avec des gens qui évoluent dans un milieu musical différent du tien ?

Certainement pas pour rejoindre une de ces grosses équipes dédiées à l’écriture de pop songs pour des artistes mainstream. Je trouve ça complètement fou ce genre de trucs, et je ne m’y sentirais pas à ma place. Mais à une plus petite échelle ce serait amusant de collaborer avec un artiste qui partage la même vision que moi.

Chose que tu as déjà faite en enregistrant un album avec Nathan Williams de Wavves en 2015…

[Surpris] Je ne savais pas que vous en aviez entendu parler en France, c’est cool ! L’enregistrement avec Nathan, c’était vraiment pour le fun, ça nous a fait passer un bon moment.

Parmi tous les titres de Cloud Nothings, ceux que je préfère sont ‘Pattern Walks’ et ‘Wasted Days’, deux morceaux longs, progressifs, avec des passages relativement dissonants. Tu t’es déjà imaginé faire un album composé uniquement de titres comme ceux-là ?

On pourrait le faire, oui. J’ai déjà pensé à enregistrer un album dans le genre noise, expérimental. Je crois d’ailleurs que j’aimerais faire quelque chose d’assez différent pour le prochain disque. Mais rien n’est décidé encore. Il faudra d’abord que je me pose pour composer de nouveau et là… On est parti pour une longue tournée !

Quelle part prennent les autres membres du groupe dans la composition des titres ?

Généralement, je compose une base de morceau à la guitare que j’enregistre sous forme de petite démo sur mon ordinateur. Mais ça sonne souvent assez merdique [rires] ! Ce n’est qu’en jouant et en retravaillant le morceau avec les autres qu’il finit par bien sonner.

Pour tes deux premiers albums (‘Turning On’ en 2010 et ‘Cloud Nothings’ en 2011), tu disais t’inspirer des histoires des autres pour écrire tes paroles. A présent, elles semblent directement liées à tes propres expériences. Par exemple, je sais que tu as vécu une petite période de solitude récemment et les paroles de ‘Up To The Surface’ semblent y faire directement écho.

Oui c’est vrai. La majorité des paroles du nouvel album évoquent la solitude, l’isolement et l’importance d’être bien là où tu te trouves. Je me suis retrouvé plusieurs fois coupé de mes proches, que ce soit dans le Massachussets ou ici, à Paris, où j’ai passé deux ans [dans les deux cas pour des relations amoureuses, ndlr]. C’était d’autant plus étrange parce que je ne parle pas français, et que je n’ai pas cherché à apprendre la langue, même si avec le recul j’aurais dû. Du coup, c’était encore plus difficile de sympathiser avec les gens. Comme je n’avais pas de marques, j’avais l’impression de flotter en permanence. C’était très bizarre comme situation…

L’atmosphère de ‘Life Without Sound’ sonne moins oppressante que celle de tes deux précédents albums (‘Attack On Memory’ et ‘Here and Nowhere Else’). Par ailleurs, tu as également déclaré au magazine Spin : ‘Je n’ai plus le sentiment de gâcher ma vie à présent‘. Est-ce que c’est le succès qui t’aide à prendre confiance en toi ?

J’imagine oui. Ça donne du sens à ce que je fais de ma vie, c’est-à-dire jouer dans un groupe. Si les gens viennent à nos concerts, c’est que notre musique a des qualités, qu’elle est capable de donner du bonheur aux gens. Donc oui, c’est plutôt agréable ! Alors peut-être que ça ne m’inspire pas exactement de la confiance, mais plutôt un sens à mon existence.

Tu te décrirais comme quelqu’un d’anxieux autrement ?

J’essaie de vivre au jour le jour mais, en vérité, je ne peux pas m’empêcher de penser au futur. C’est comme une lutte quotidienne et beaucoup de mes paroles viennent de là. L’avenir me fait vraiment flipper. Et je crois qu’on est nombreux dans ce cas ! A un niveau très personnel, le simple fait d’avoir un téléphone portable me stresse. On ne peut jamais être totalement seul à cause de ce truc là ! Tu savais que tes conversations étaient écoutées ?

Tu veux dire, par la NSA ?

Peut-être, mais surtout par les entreprises. On écoute ce que tu dis pour mieux te connaître et te refiler ensuite de la publicité ciblée sur le Net. Tout ça me rend fou. C’est devenu impossible d’avoir une vie réellement privée.

De ton côté, tu n’as pas l’air d’être à fond sur les réseaux sociaux contrairement à de nombreux artistes de ta génération.

C’est vrai. J’utilise un peu Twitter parce que ma copine adore ça et qu’elle me twitte souvent des trucs. C’est un moyen de rester en contact avec elle. Et puis il y a Instagram sur lequel je publie des photos de ma chienne parfois. Elle s’appelle Sheena d’après la chanson des Ramones, ce qui fait d’elle automatiquement une punk-rocker [rires] !

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