Cheveu – Le bon, la bête et le bruyant

Cheveu – Le bon, la bête et le bruyant

Loin des destins et des disques ordinaires, Cheveu a poussé tout au long de ses aventures comme un épi récalcitrant, refusant de se ranger aux cotés des groupes paisibles et des projets faciles. Accompagné depuis son premier album par JB Guillot et son label Born Bad, le trio a développé en trois albums une musique hautement personnelle, qui ne se satisfait jamais du chemin parcouru, et qui a depuis longtemps déchiré toutes les petits étiquettes qu’on essayait de lui coller sur le front. Aujourd’hui dans une période fertile, partagé notamment entre un opéra sur le coureur cycliste Marco Pantani et un disque enregistré au Sahara occidental avec le groupe Doueh, le groupe évolue dans un univers imprévisible, uniquement motivé par ses goûts qui l’ont toujours emmené loin des chemins battus. A l’occasion des 10 ans de Born Bad, on a pris le temps de poser quelques questions à David Lemoine et Etienne Nicolas sur leur relation historique avec le label, avant de faire le point sur le Cheveu de 2017. 

Comment s’est passé votre première rencontre avec JB de Born Bad ?

On a fondé le groupe en 2003. Jusqu’en 2008 et la sortie du premier album, on a sorti toute une flopée de 45t sur des labels américains et français. Sur la foi de ces disques, on a fait pas mal de tournées aux USA, des gros festivals garage avec Jay Reatard etc… On a eu toute une petite presse underground, sous forme de forums à l’époque, via les 45t et les concerts, donc JB a eu vent de ça. Vu qu’il montait Born Bad, il a tout de suite pensé à nous. On était sa troisième sortie après Frustration et Magnetix. Du coup, nos trois groupes ont tourné ensemble, ont sympathisé… Je me souviens plus trop de la première rencontre. Il n’était pas aussi implanté que maintenant. Il sortait de major, il s’était fait virer avec un peu de pognon donc il a monté son label directement ensuite. Mais tout le monde se foutait un peu de sa gueule, c’était la grosse crise du disque, personne pensait que ça allait marcher. Lui étant hyper revanchard, il était certain qu’il y avait un truc à faire. De notre côté, on était un peu sollicité au début par des labels américains comme Touch & Go et Sub Pop. Du coup, quand il nous a proposé le truc, on faisait un peu les malins.

Vous avez donc clairement hésité à ce moment là donc ?

Au début oui parce qu’il n’avait aucun recul, pas de références si ce n’est un maxi de Frustration et un album de Magnetix. Mais il s’est montré convaincant lorsqu’il nous a dit qu’il y avait un truc à faire en France.

A quel moment vous vous êtes vraiment rendus compte que le label prenait de l’ampleur ?

On s’est développé ensemble, on a tout vu de l’intérieur. Le label avait de plus en plus de références, on faisait de plus en plus de concerts, on avait beaucoup de bons retours de la presse, du coup l’un marchait bien avec l’autre finalement.

Et concernant Cheveu, l’engouement a t-il été différent en France suite à votre signature chez Born Bad ?

En France, personne ne nous connaissait vraiment, on tournait dans les squats. Au début, tout le monde connaissait la boutique Born Bad, mais personne ne connaissait le label. Maintenant, c’est l’inverse. JB s’est beaucoup fait connaitre pour ses travaux de rééditions qui avaient pas mal de succès. Les ‘Wizzz’ etc… C’est avec ça qu’il faisait son beurre et qu’il se faisait connaitre. Il se faisait un peu foutre de sa gueule aussi à cause de ça, et maintenant on se rend compte que ses compilations défendaient des genres musicaux devenus très tendances aujourd’hui. Quand on a commencé, c’était la période des baby rockers etc… Il était face à ça. Rock & Folk y consacrait ses couvertures, pendant que JB signait des vieux gars de plus de 30 ans qui n’inspiraient pas forcément l’idéal rock n’roll. Sauf que maintenant, tous ces jeunes groupes ont disparu, et il ne reste plus que lui.

A quoi pensez vous que cette longévité est due ?

Je pense que c’est surtout parce que personne ne se prend la tête, personne ne rechigne à faire les quatre coins de la France en Kangoo. Aussi, JB est un mec assez modeste dans sa manière de demander conseil. Il croise, recroise des opinions pour conforter sa propre intuition. Il a du flair, et il a son chemin de mecs qu’il va consulter les uns après les autres, des mecs de générations différentes qui ont un avis sur la musique. Il a une période d’incubation : il prend ton truc, tu ne le vois plus pendant dix jours, et il te dit ‘ouais, c’est bon !’. Après, nous, ça nous arrive beaucoup moins puisqu’il nous suit, il a vraiment un rôle de producteur, notamment sur le disque avec Doueh dont il est plus ou moins à l’initiative. Pour ça, il nous a suivis, il a financé l’enregistrement de A à Z.

C’était beaucoup de pression pour vous ce projet ?

Oui parce que, quand on a habituellement deux ans pour faire un disque, là on avait dix jours. C’était une expérience à vivre, au milieu du désert. C’était quitte ou double. Fallait pas mal de pognon pour organiser le truc, nous faire venir, donc c’était forcément un peu tendu.

Ce n’était pas non plus gagné d’avance que vous vous entendiez musicalement avec Doueh ?

On se sentait hyper loin d’eux, que ce soit mélodiquement, rythmiquement, culturellement… Il n’y avait pas grand chose qui collait. Quand on est arrivé, les mecs ne parlaient même pas arabe mais une espèce de dialecte du désert. C’était un peu inconfortable, on avait la pression qui nous imposait de commencer tout de suite… Pas mal d’éléments rendaient le truc assez aléatoire on va dire… Mais on s’en est sorti. On est venu avec plein de gens sur place (le groupe, un ingé son, JB, une équipe de télé, un mec de Vice, un journaliste photographe, etc…), on était une armée, sans compter que là bas, dès que tu commences à répéter, tu as des mecs de l’extérieur qui rentrent dans la salle. Les mecs vont faire la sieste pendant cinq heures, tu ne comprends pas, et quand ils reviennent tu es fatigué… C’était bien, mais c’était sport.

Vous vous êtes retrouvés sur pas mal de projets différents ces dernières années, entre ça et l’opéra…

Ouais. Là, il y a eu l’accouchement des deux projets en même temps qui a fait que c’était un peu chaud cet hiver. Il y a eu une très mauvaise gestion du timing qui a fait qu’on a pas mal communiqué sur Doueh, et relativement peu sur l’opéra alors que c’était aussi un gros chantier : on était 60 sur scène, dans un des plus gros théâtres français, avec des arrangements de voix et d’histoire.

Ça s’est bien passé d’ailleurs ?

De notre côté, on en est très content. On essaye de voir s’il est possible de tourner avec ce projet. C’est lourd mais il y a peut être un moyen d’adopter une formule plus légère, avec beaucoup moins de choristes, peut être moins de mise en scène, en se focalisant plus sur la musique que sur la théâtralité.

Qu’est ce vous apportent ce genre d’expériences très différentes ?

Ça nous permet de continuer notre collaboration avec Maya Duniets qui bosse avec nous depuis ‘Mille’. Même avec elle, on arrive à évoluer vers des projets de plus en plus conséquents. On avait déjà fait un concert à la Cigale avec 40 choristes, pour arriver là avec une formule plus opératique. C’est réjouissant d’être accompagné par elle, elle s’y tient, elle bosse hyper bien avec nous, elle est incroyable. Ça nous permet aussi de nous diversifier, de faire des rencontres improbables, sur des scènes improbables. Ce sont des défis, mais on y arrive !

Pour revenir à Born Bad, qu’est ce qu’il représente pour vous aujourd’hui ?

C’est un peu le papa d’autres labels comme Teenage Menopause qui se sont beaucoup inspirés de sa manière de fonctionner. Mais ça reste son truc à lui, il est tout seul dans ses choix artistiques, et il les assume. Il a aussi cette recherche du son seventies, un peu ‘gainsbourienne’, que l’on retrouve notamment sur toutes ses sorties pop. JB est un gros collectionneur de disques de cette époque là, donc c’est assez logique de le voir suivre cette voie, même si c’est arrivé de façon assez brutale parce qu’il en a sorti plein d’un coup. Il est parti de groupes un peu primaires revendiquant la banlieue, des working class heroes comme Frustration, pour finalement voir débarquer Dorian Pimpernel et des mecs en vestes jacquard : c’est très marrant ce chemin qu’il a fait pour arriver là.

Ce contraste, c’est peut être justement l’esthétique de son label non ?

Oui complètement. Et ça ne m’étonnerait pas que, à l’avenir, il aille gratter du côté du noise, etc… Je pense qu’il veut vraiment être exhaustif par rapport à une scène indépendante dans le bon sens du terme, à des artistes autonomes. Ça ne m’étonnerait pas qu’il ait envie de quadriller tout le truc.

Ce côté noise rock, vous l’avez un peu chez Cheveu non ? Sur certains passages tout du moins…

Oui, surtout sur scène ou on maltraite nos morceaux, ou on perd le contrôle pour arriver à des moments ou on lâche prise. On fonctionne avec des boites à rythmes donc le beat est constant, et on se lance dans des trucs plus bruitistes. On aime bien le chaos de fin de concert, on est attiré par ça. Mais pas que.

Quand on vous place parmi les groupes les plus emblématiques du label, vous en pensez quoi ?

On a fait quatre disques ensemble, donc forcément… Cheveu regroupe divers courants musicaux, donc on n’a pas vraiment d’étiquette, et on touche pas mal de monde. C’est peut être pour ça. Je pense que c’est encore plus fort pour Frustration et Magnetix. A la base, l’image de Born Bad est conditionnée par la boutique, par une esthétique garage sixties qui d’ailleurs ne correspond plus trop à ce que c’est maintenant. JB incarne aussi beaucoup son label, même physiquement. Dans tout cela, il y a une esthétique un peu cernée dont on est un poil à la marge. Mais je pense qu’on est un peu inséparable parce qu’on a grandi ensemble, donc on est affilié à ce label et réciproquement.

Concrètement, quel a été l’impact de Born Bad sur la vie de Cheveu ?

Ça nous a permis de nous installer durablement en France, de nous professionnaliser d’une certaine manière (rires). Ce qui est cool, c’est que le label grossisse, parce qu’il y a eu pas mal de fois ou on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve un label plus important pour le prochain album : ça a foiré à chaque fois, et JB a toujours eu la classe de nous accompagner dans cette démarche. C’est donc un bon gros fil rouge, un gros soutien pour le projet.

Il règne une certaine confusion autour de la notion de musique de niche chez Born Bad. Que pensez vous de la démarche de certains artistes de vouloir rester absolument underground, de ne pas vouloir signer sur le label par exemple parce qu’ils le considèrent comme trop gros ?

On en connait, et on ne peut pas trop parler à leur place. C’est un choix, mais il n’y en a pas tant que ça. Ça fait un bon sujet de conversation entre les groupes (rires). Pour certains, tu es maintenant un vendu si tu vas chez Born Bad. Ça n’a aucun sens. JB a une super réponse à cela quand il dit que ce n’est pas faire preuve de grande subversion que de garder son message pour ses copains, et de faire ses concerts devant les 40 mêmes mecs. La subversion, elle peut aussi être dans le fait d’amener son message, quel qu’il soit, sur des scènes ou on ne t’attend pas. Je trouve que le discours se tient vachement. J’imagine que quand les SMAC nous voient débouler, elles ne sont pas face au groupe qu’elles voient tous les jours.

ECOUTE INTEGRALE

EN CONCERT

25.05 – LYON – Epicerie Moderne
Group Doueh & Cheveu
26.05 – PARIS – Villette Sonique – Grande Halle
Group Doueh & Cheveu
13.07 – DOUR FESTIVAL – La Caverne
Group Doueh & Cheveu
16.09 – BRUXELLES – Magasin 4
Frustration, Cheveu, JC Satan, Cannibale, Usé, Magnetix


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